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Carte blanche à Chrystèle Spinosi
Versailles made in Potager
Elle s’avance, un peu inquiète de ce qu’elle découvre autour d’elle : un château, son allée bordée de vieux arbres, son porche antique, son salon d’époque,
boiseries et compagnie… Qu’est-ce qu’elle fait là ? Serait-ce un piège ? Elle découvre le programme, airs de cour, Louis XIV, bref Versailles à tous les étages. Elle s’angoisse.
Je la retrouve à la sortie, presque soulagée : j’ai eu peur, me dit-elle, j’ai cru qu’on t’avait perdue ! Mais non, c’est toujours toi, et toi tu ne fais pas ça (désignant l’air ambiant si teinté à ses yeux).
Tout est dit dans ce ça, ce qu’elle avait craint, ce qu’elle avait imaginé, ce qui lui avait fait peur. Et pourtant, elle vient de passer une heure entière à écouter du baroque versaillais dans sa plus pure expression, sans voir le temps passer, sans soupirer d’ennui, ni même se trouver décalée ou mal à l’aise. Le rire,
l’humour et les larmes ont jalonné cette heure de musique, transfigurant l’académisme pompeux qu’elle s’était imaginé en histoires vivantes et chaleureuses.
Elle repart satisfaite et décidée : elle va de nouveau nous programmer.
Réjouissances du Palais ne répond pas aux codes traditionnels du concert traditionnel, à tel point que je n’ai toujours pas trouvé comment nommer cet instant partagé avec le public. Si l’on y fait de la musique, on y raconte surtout le paysage qui entoure cette musique. C’est un paysage secret (un peu comme les coulisses de la scène) qui nous a été soufflé par un homme de la cour sans être courtisan (était-ce
possible ?). La Quintinie, avocat devenu jardinier par passion, a garni la table du roi de toutes les merveilles du potager, portant très largement sa part à l’avènement de l’art de vivre à la française, sans jamais céder aux sirènes du bling-bling. Véritable leçon de choses, j’ai repris à mon compte cette distanciation qui nous permet de profiter d’une autre lecture de Versailles, plus joyeuse, plus simple mais aussi plus ironique et critique. Les petites histoires faisant la grande, ça fait du bien de rire un peu de soi, de se moquer de nos habitudes et de nos rituels de société.
Comme quoi, la musique dite classique n’est pas une langue morte conservée dans du formol et déconnectée de la vie. Elle n’est pas une finalité primaire, mais un moyen d’expression, une possibilité de dire le Monde. C’est là que je la ressens plus vivante que jamais, dans cette respiration venue de plus loin que la partition. Nourrie de l’histoire humaine, elle reste éveillée et se ré-invente continuellement, infini
potentiel de modernité. Toutes les propositions de la compagnie Volte Quarte ont des formats aussi
divers que variés sur des sujets tout aussi éclectiques, mais leur racine commune est ce rapport continuel à l’humain et à sa réalité émotionnelle. Très souvent, je me heurte à la timidité ambiante face à ces nouveaux formats, comme si la musique classique ne pouvait se réformer… que par le prisme des clichés qu’on lui reproche. C’est le chien qui se mord la queue !
Pourtant, il est des artistes désireux de faire bouger les codes.
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Chrystèle Spinosi est chanteuse, auteur, performeuse en nouvelles technologies et spécialiste de l’interprétation de la musique ancienne et du théâtre baroque. Elle dirige la compagnie Volte Quarte, seule compagnie du genre sur le territoire. Son dernier programme Réjouissances du Palais évoque l’évolution de la table française au milieu du 17e siècle, quand fruits et légumes devinrent les chouchous des festivités royales (cinq fruits et légumes par jour : on n’a rien inventé !).
Dates à venir : le 22 novembre 2016 au festival Milasons à Moncontour, le 18 décembre 2016 au Petit Echo de la Mode. Du 27 février au 10 mars à l’Espace Victor-Hugo (exposition photos + une représentation avec dégustation le 4 mars).
Un disque du spectacle agrémenté de quelques recettes d’époque est disponible auprès de la compagnie.
Travaux en cours : exposition interactive Le Mécano de la Pianosphère.
www.voltequarte.fr - contact@voltequarte.fr
Photographies :
Haut de page : Réjouissances du palais © Pierre Delacroix
Bas de page : Chrystèle Spinosi © Cie Volte Quarte